La complexité des relations entre propriétaires et locataires dans le cadre d’une copropriété engendre fréquemment des situations conflictuelles. Ces litiges, souvent exacerbés par la méconnaissance du cadre juridique, nécessitent une compréhension approfondie des mécanismes légaux en place. La loi du 10 juillet 1965 et son décret d’application du 17 mars 1967, modifiés par la loi ELAN et la loi ALUR, définissent précisément les contours de ces rapports. Au carrefour du droit de la copropriété et du droit locatif, ces situations impliquent une multiplicité d’acteurs: bailleurs, locataires, syndics et conseils syndicaux, chacun avec ses prérogatives et contraintes spécifiques.
Le cadre juridique des relations locatives en copropriété
Le bailleur copropriétaire se trouve dans une position particulière, assujetti simultanément à deux régimes juridiques distincts. D’une part, la loi du 6 juillet 1989 régit ses rapports avec son locataire, établissant un contrat de bail avec des obligations précises. D’autre part, il reste soumis au règlement de copropriété et aux décisions prises par l’assemblée générale des copropriétaires.
Cette dualité juridique crée un environnement complexe où le bailleur doit jongler entre ses responsabilités contractuelles envers le locataire et ses obligations vis-à-vis de la copropriété. Par exemple, un copropriétaire ne peut pas louer son bien pour une activité interdite par le règlement de copropriété, même si cette activité est légale par ailleurs.
La Cour de cassation a clarifié dans plusieurs arrêts que le locataire, bien que non signataire du règlement de copropriété, se trouve néanmoins tenu de le respecter. Cette obligation découle de l’article 1719 du Code civil qui impose au bailleur d’assurer la jouissance paisible des lieux loués. Un arrêt du 9 juin 2010 (Cass. 3e civ. n°09-14331) précise que le locataire doit observer les stipulations du règlement de copropriété.
Le copropriétaire-bailleur doit impérativement annexer au contrat de bail plusieurs documents: une copie du règlement de copropriété, les procès-verbaux des trois dernières assemblées générales si elles contiennent des décisions applicables au locataire, ainsi que le diagnostic technique global (DTG) si celui-ci a été réalisé.
En cas de modification du règlement de copropriété pendant la durée du bail, le bailleur doit notifier ces changements au locataire. Un manquement à cette obligation pourrait constituer une faute contractuelle engageant sa responsabilité, comme l’a confirmé la jurisprudence dans un arrêt du 11 mai 2016 (Cass. 3e civ. n°15-10228).
Gestion des troubles locatifs et responsabilités partagées
Les troubles de voisinage représentent une source majeure de conflits en copropriété. Lorsqu’un locataire perturbe la tranquillité de l’immeuble, une chaîne de responsabilités se met en place. Contrairement à une idée répandue, le syndic ne peut pas intervenir directement auprès du locataire fautif, car aucun lien contractuel ne les unit.
La procédure adéquate implique que le syndic, mandaté par le syndicat des copropriétaires, contacte d’abord le propriétaire-bailleur pour l’informer des nuisances causées par son locataire. Cette démarche est fondée sur l’article 13 de la loi de 1965 qui stipule que le copropriétaire reste responsable des agissements de son occupant vis-à-vis de la collectivité.
Le bailleur dispose alors de plusieurs outils juridiques pour remédier à la situation. Il peut adresser une mise en demeure au locataire, rappelant ses obligations contractuelles et les conséquences potentielles du non-respect du règlement. Si les troubles persistent, il peut engager une procédure de résiliation judiciaire du bail pour manquement aux obligations locatives, conformément à l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989.
Dans les cas les plus graves, la jurisprudence reconnaît même aux copropriétaires victimes un droit d’action directe contre le locataire perturbateur. L’arrêt du 4 février 2014 (Cass. 3e civ. n°12-28808) illustre cette possibilité en permettant à des copropriétaires d’obtenir la résiliation judiciaire du bail d’un locataire causant des troubles manifestement excessifs.
La responsabilité du bailleur peut être engagée s’il reste passif face aux nuisances causées par son locataire. Un arrêt notable du 7 juin 2018 (Cass. 3e civ. n°17-18938) a condamné un propriétaire à verser des dommages-intérêts aux copropriétaires voisins pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores récurrentes de son locataire.
Pour prévenir ces situations, il est recommandé aux bailleurs d’inclure dans le bail une clause résolutoire spécifique mentionnant l’obligation de respecter le règlement de copropriété, facilitant ainsi la résiliation du contrat en cas d’infraction avérée.
Travaux et modifications : limites du droit du locataire
La question des travaux privatifs cristallise souvent les tensions entre les différents acteurs de la copropriété. Le locataire, bien qu’ayant un droit de jouissance sur le bien loué, voit ses prérogatives limitées par le statut particulier des lots en copropriété.
Conformément à l’article 7f de la loi du 6 juillet 1989, le locataire ne peut réaliser des transformations substantielles du logement sans l’accord écrit du bailleur. Cette restriction prend une dimension supplémentaire en copropriété, où certains travaux, même autorisés par le propriétaire, nécessitent l’approbation de l’assemblée générale.
Les travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble sont systématiquement soumis à l’autorisation préalable de la copropriété. La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 9 juin 2010 (Cass. 3e civ. n°09-10361) que l’installation d’une parabole en façade, même avec l’accord du bailleur, nécessitait l’autorisation de l’assemblée générale si le règlement l’exigeait.
Le régime d’autorisation varie selon la nature des travaux :
- Les travaux d’embellissement ou d’aménagement léger (peinture, papier peint) relèvent de la seule autorité du bailleur
- Les modifications structurelles ou affectant les équipements communs requièrent l’accord du bailleur et potentiellement celui de la copropriété
La responsabilité du bailleur est engagée si son locataire réalise des travaux non conformes au règlement de copropriété. Dans un arrêt du 15 septembre 2015 (Cass. 3e civ. n°14-15976), la Cour de cassation a confirmé qu’un copropriétaire pouvait être condamné à remettre les lieux en état suite à des travaux irréguliers effectués par son locataire, indépendamment de son approbation personnelle.
Pour le locataire, les conséquences peuvent être sévères : outre la remise en état obligatoire à ses frais, il s’expose à une action en résiliation du bail pour manquement grave à ses obligations. La jurisprudence montre que les tribunaux n’hésitent pas à ordonner l’expulsion pour des travaux non autorisés portant atteinte à la destination de l’immeuble ou à sa sécurité.
Une communication tripartite claire entre bailleur, locataire et syndic s’avère indispensable pour éviter ces situations conflictuelles. Certaines copropriétés mettent en place des procédures d’information spécifiques pour les nouveaux locataires, détaillant les autorisations nécessaires pour différents types de travaux.
Charges locatives et charges de copropriété : distinctions fondamentales
La répartition des charges financières entre propriétaire et locataire constitue une source récurrente de litiges. Le décret n°87-713 du 26 août 1987, complété par la loi ALUR, établit une liste limitative des charges récupérables auprès du locataire, tandis que l’article 10 de la loi de 1965 régit la répartition des charges de copropriété.
Il convient de distinguer deux catégories de charges en copropriété : les charges générales relatives à la conservation, l’entretien et l’administration des parties communes (article 10 alinéa 1) et les charges spéciales liées à l’utilisation des services et équipements collectifs (article 10 alinéa 2). Seule une partie de ces charges peut être répercutée sur le locataire.
Le bailleur peut récupérer auprès de son locataire uniquement les dépenses correspondant à des services dont ce dernier bénéficie directement, comme l’entretien courant des parties communes, le nettoyage, la maintenance des équipements ou la consommation d’eau. En revanche, les travaux d’amélioration, les grosses réparations ou les frais de gestion du syndic restent à la charge exclusive du propriétaire.
Les litiges surviennent fréquemment lors de la régularisation annuelle des charges. Un arrêt du 9 mars 2017 (Cass. 3e civ. n°16-10685) a rappelé qu’un bailleur ne pouvait pas inclure dans les charges locatives des dépenses non récupérables comme le ravalement de façade ou la réfection de la toiture.
La loi ALUR a renforcé les obligations d’information du bailleur concernant les charges. Il doit désormais communiquer au locataire le décompte détaillé des charges dans un délai d’un mois à compter de leur réception par le syndic. Cette transparence vise à prévenir les contentieux en permettant au locataire de vérifier la nature des sommes réclamées.
La prescription des actions en recouvrement de charges locatives est de trois ans à compter du paiement par le bailleur au syndic, conformément à l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989. Ce délai relativement court impose au bailleur une gestion rigoureuse de la régularisation des charges.
Pour éviter les contentieux, certaines pratiques se développent comme la mise en place de provisions mensuelles ajustées au plus près des dépenses réelles ou l’élaboration d’annexes au bail détaillant précisément la répartition des charges entre bailleur et locataire pour chaque poste de dépense spécifique à la copropriété.
Voies de recours et médiation : résoudre l’équation tripartite
Face à la complexité des litiges en copropriété impliquant des locataires, le législateur a développé des mécanismes alternatifs de résolution des conflits, privilégiant les solutions amiables avant le recours judiciaire.
La Commission départementale de conciliation (CDC) constitue un premier niveau d’intervention pour les différends entre bailleurs et locataires. Créée par la loi du 6 juillet 1989 et renforcée par la loi ALUR, cette instance paritaire peut être saisie gratuitement pour tenter de résoudre les litiges relatifs aux charges, à l’état des lieux ou au respect des obligations respectives. Une étude du Ministère du Logement révèle que 65% des saisines aboutissent à un accord amiable.
Pour les conflits spécifiques à la copropriété, l’article 21-4 de la loi de 1965 a instauré le rôle de médiateur de la copropriété, généralement assumé par un membre du conseil syndical. Ce dispositif, encore peu utilisé (seulement 12% des copropriétés selon une enquête de 2020), permet d’aborder les différends dans une approche conciliatoire.
Depuis 2020, la médiation préalable obligatoire s’applique pour certains litiges de copropriété dont le montant est inférieur à 5 000 euros. Cette procédure impose une tentative de résolution amiable avant toute saisine judiciaire, favorisant le dialogue entre les parties.
En cas d’échec des voies amiables, les juridictions compétentes varient selon la nature du litige :
- Le tribunal judiciaire pour les litiges entre copropriétaires ou avec le syndicat
- Le juge des contentieux de la protection pour les différends entre bailleur et locataire
La particularité des conflits tripartites (locataire-bailleur-copropriété) réside dans la nécessité d’identifier précisément le fondement juridique de l’action. Un arrêt du 19 janvier 2017 (Cass. 3e civ. n°15-26670) illustre cette difficulté : un locataire poursuivant la copropriété pour des désordres dans les parties communes a vu son action rejetée, le juge estimant que seul son bailleur pouvait agir contre le syndicat des copropriétaires.
La jurisprudence récente tend à clarifier les responsabilités dans ces situations triangulaires. Un arrêt du 21 mars 2019 (Cass. 3e civ. n°18-10772) a reconnu la possibilité pour un locataire d’agir directement contre le syndicat des copropriétaires en cas de préjudice personnel distinct de celui subi par son bailleur, ouvrant une voie juridique nouvelle.
L’émergence des plateformes numériques de résolution des litiges représente une innovation prometteuse. Des expérimentations menées dans plusieurs métropoles françaises depuis 2018 montrent un taux de résolution de 73% pour les conflits locatifs en copropriété traités via ces outils, réduisant significativement les délais et les coûts par rapport aux procédures traditionnelles.
